New Year eve trip


New Years Eve at the Grande-Synthe camp tastes like a candied orange, like the sugar that makes bitterness syrupy. Around 8 p.m., an old friend from Dunkirk picked me up at the end of the train across the Channel. A suit dresses him, another Christmas Eve awaits him. He drops me off at the entrance to the camp. The police refuse access. They fear a riot tonight. I join Bagzad and his acolytes on one side of the vacant lot. The last night of the year is stretched. I can barely see them, these shadows perched at the top of their embankment. A river separates us. The boys find a tree trunk. He will do the trick. After holding our breath, we laugh at my crossing, forgetting the one they will make soon.

( Preview)
Le Nouvel An au camp de Grande-Synthe laisse le goût d’une orange confite, celui du sucre qui rend l’amertume sirupeuse. Vers 20 heures, un vieil ami de Dunkerque vient me chercher à la sortie du train outre-Manche. Un costume l’habille, un autre réveillon l’attend. Il me dépose à l’entrée du camp. Les policiers refusent tout accès. Ils craignent une émeute ce soir. Je rejoins Bagzad et ses acolytes sur un des côtés du terrain vague. La dernière nuit de l’année s’étire. Je les vois à peine, ces ombres perchées en haut de leur talus. Un cours d’eau nous sépare. Les garçons trouvent un tronc d’arbre. Il fera l’affaire. Après avoir retenu notre souffle, nous rions de ma traversée, oubliant celle qu’ils feront bientôt. 

Une fois dans la tente, nous partageons le thé et les plats récupérés au point de distribution.
Nous parlons, un des hommes se lance dans un chant, un autre le suit. Un choeur se forme, mué
par l’espoir d’un lendemain qui chante. Minuit. Ils m’apprennent à prononcer « bonne année » en
kurde.
Salek nû pîroz bike, salek nû pîroz bike. Salek. Nû. Pîroz. Bike.
La soirée se calme. 2015 se perd, 2016 s’installe en silence. Les efforts de la journée, le froid,
l’usure des violences et celle des déceptions pèsent sur les paupières. Quelques heures plus tard,
le ressac des respirations endormies est interrompu par des bruits extérieurs. L'agitation feutrée
nous réveille en demi-sommeil. Un bébé pleure. Sursauts inquiets sous la tente. Dehors, des
chuchotements calment le nourrisson. Nous nous rendormons.
La lumière du jour s’infiltre sous la tente. Nous retournons dans la boue. Rien ne semble avoir
changé sur Grande-Synthe, mais, à nos côtés, une nouvelle famille occupe un des tipis
aménagés. Ce sont donc eux qui se sont installés cette nuit. Nous nous présentons, ils nous
invitent pour le thé. Des chauffe-eaux équipent cette habitation réservée aux familles. Pendant
que l’eau boue, la mère nous présente son bébé d’un an et sa petite fille de quatre. Comment
sont-ils arrivés? D’où ? Avec qui ? Comment ? Elle a quitté l’Irak avec son mari et ses enfants. A
pieds ? En bus ? En bateau ? Là aussi se trouve l’un des mystères de la migration, ce flux discret,
ces trajectoires pleines de dangers. Une des énigmes de l’énergie humaine aussi. N’ayant plus
aucune attache qu’eux-mêmes, cette famille survit dans le mouvement et l’échange. Autour du
thé, les jeunes parents parlent kurde avec Bagzad et les autres. Je ne comprends pas leurs mots
mais nous échangeons des sourires et quelques gestes bienveillants. Nous repartons pour
plusieurs jours de coupes et de rencontres. Je retrouve des visages d’habitués.  

Quelques semaines après, je croise à nouveau la famille kurde.
- Mira ne sort pas, elle mettrait trop de boue à l’intérieur ! Je ne veux pas passer mon temps à
nettoyer le tipi et ma fille, raconte Zera, la mère.
La famille avait fait du tipi son foyer, temporaire et fugace comme les vapeurs de nourriture qui
s’en dégageaient.


Text de Gaelle Caradec
Photos de Sabrina Lefebvre  

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