Robot
Shazad, Bagzad, Ahmed et leurs acolytes ont enfin réussi à passer en Angleterre. Le 25 février 2016, la Jungle, abritant alors 7 000 personnes environ, connaît un premier démantèlement. Une grande partie du sud du camp est évacuée de force.
-1-
Danse, danse. Coupe, coupe
Robot.
Le temps s’étire
Les aiguilles de l’horloge se fatiguent
Dans l’hiver, mon visage embrasse le froid
La pluie tombe
Fatale épopée
La boue colle aux pieds
Le ciel, au gris saillant,
Se troue de nuage au lait caillé.
Un temps dégueulasse.
J’arrive.
Corps et cerveau vidés
La foule vit
Je deviens objet
Mes mains devenues porte-ciseaux
Ces pouces étrangers s’agitent
Ce sourire au reflet étrange subsiste
La marionnette coiffe
Téléguidée
Enchaînée par l’obligation
de documenter
Je ne peux plus
Simplement regarder
Me reposer
Dans la pure solidarité
Je me jette comme une poupée
Vois les têtes défiler
Les horreurs se deviner
L’espoir, le leur, le mien, se profiler
S’effiler, s’épuiser.
-2-
Tourne, accélère, plus vite, encore
Le bourdonnement des tondeuses ne s’arrête pas
Les chaises de camping claquent
Les épaules sont trop lourdes
Les hommes suffoquent
Quelques regards s’allument
Entourée d’êtres humains,
J’ai peur de ne plus en être un
D’observer la misère,
Moi qui peux m’en extraire,
J’en manque d’air
Et essaie désespérément de faire.
Les flux,
Les barrières, les frontières
Tout coule
Je déferle
Ils, nous
D’émotions
Brèves, trop intenses, trop courtes, trop incertaines
Nos rencontres sont des petits monts
Qui jouissent et finissent
Dans le vide
Le silence
Je dégringole
Le robot déraille
Accompagnée de fantômes, je ne suis pas si seule
Le temps vole
A la frontière,
J’apprivoise l’absurde et l’injuste