Gina
Gina Birch m’ouvre la porte de sa maison londonienne. La chanteuse du groupe punk The
Raincoats tient quelques poignées de cheveux dans ses mains. Ils viennent de tomber. Son regard
bleu se perd. Elle part d’un pas décidé dans sa cuisine et taillade ses boucles avec de larges
ciseaux extraits d’un tiroir. D’un autre tiroir, elle sort une perruque que l’on a choisie ensemble,
quelques jours auparavant.
Les reflets roux de la peau de Gina se reflètent dans les pierres ambrées de son collier. Il y a
quarante ans, elle hurlait au micro des Raincoats qu’elle n’était la petite fille de personne. Son
énergie indomptable n’a pas vieillie et s’assoit comme sur ressort le temps d’une coupe. La
perruque descend jusqu’à ses épaules. Une frange encadre ses grands yeux ronds, soulignés par
son nez court et son sourire espiègle. Elle semble avoir toujours porté cette frange, campée sur
son front depuis les années soixante-dix. Le chat de Gina vient se frotter à ses pieds pendant que
je positionne et fixe la chevelure. Même si elle a choisi un félin comme compagnon, Gina compare
ses débuts musicaux à un chien qui jappe.
- Je n’avais aucune idée de comment réaliser un écho vocal grâce au retour du micro, alors je
chantais en répétant l’écho moi-même. Ca ressemblait vraiment à un jappement, un cri de
l’âme. Ce fut un heureux accident car ça nous a permit d’être repérées et reconnaissables. A
Londres, à la fin des années soixante-dix, le reggae était partout et les groupes de punks se
formaient tout autour de nous. Après un cours particulièrement barbant de mon école d’art, j’ai
décidé d’acheter une guitare. Avec mes trente livres en poche, je suis repartie chez moi avec
une basse. Je pensais qu’avec quatre cordes seulement, ce sera plus facile de chanter en
même temps. Elle rit. C’est tout l’inverse.
Pendant que je coupe les pointes de la perruque, elle me raconte sa rencontre avec une étudiante
un peu plus âgée, de nationalité portugaise : Anna Da Silva.
- Elle réalisait une thèse sur Bob Dylan. Anna était assez romantique, nous étions très
différentes. Quoi qu’il en soit, nous avons gravité l’une vers l’autre. Nous avons monté The
Raincoats très naturellement, avec deux autres amies, sans aucune pensée de carrière, nous
faisions simplement ce que nous avions à faire.
5
Les filles des Raincoats ont appris à jouer sur scène, se jetant dans leur premier concert quelques
semaines après avoir découvert leurs instruments. Avec l’allant des comètes, elles ont outrepassé
insultes et moqueries du public pour faire le punk qu’elles aimaient.
- Des hommes dans la foule nous hurlaient : « Montrez-nous vos nichons, enlevez vos hauts ».
C’était très embarrassant et humiliant.
Même si elles ne savaient pas bien ce qu’elles étaient en train de faire sur le moment, Gina et ses
amies deviendront une source d’inspiration pour le grunge Kurt Cobain et une nouvelle génération
d’artistes punks. Les Raincoats ont débroussaillé les chemins musicaux qu'empruntèrent les Riot
grrrls des années 90, comme les Bikini Kill et leur chanteuse Kathleen Hanna. Gina loue leur
posture assurée et revendicative, regrettant les doutes qui assaillaient parfois les Raincoats.
- Plus je vieillis, plus cet aspect autocritique faiblit. Je sais maintenant que je peux supporter et
traverser les épreuves que la vie me jette en pleine figure. Ce qui compte c’est notre réaction
aux événements. Je souhaite les rendre joyeux, amusants, plein d’amour. J’ai commencé la
chimiothérapie pour me débarrasser de la tumeur qui s’est logée dans ma poitrine et mon
liquide lymphatique. C’est ma dernière aventure en date. Je t’ai rencontrée et je porte cette
perruque splendide.
Elle se regarde dans le miroir, méfiante vis-à-vis de son reflet. La chimiothérapie n’arrive pas à la
fatiguer mais lui donne la sensation d’avoir la peau à vif. D’être trop tendre et vulnérable pour tout
ce qu’elle a à dire.
- On ne dirait pas que j’ai 17 ans ? Ca fait longtemps que mes cheveux n’ont pas été aussi
longs, dit-elle ne pouvant s’empêcher de sourire.
Témoignages de Sabrina Lefebvre, mis en mots par Gaëlle Caradec